Musique et Féeriques

Pour écouter des oeuvres musicales inspirées par les thèmes féeriques, rendez-vous dans notre rubrique Musiques.

« Le ciel est la limite, ne pas dépasser la dose prescrite »
Yves - Orphan - Adrien

A première vue, ou à première ouïe devrais-je écrire, la musique et le conte semblent être intimement liés. On pense tout de suite aux bardes celtes, aux griots africains, aux trouvères du pays d'Oïl ou troubadours du pays d'Oc, aux scaldes scandinaves... D'autres iront jusqu'à penser aux lieder germaniques chantés par les minnesänger teutons, aux hula halaus, écoles hawaïennes de chant et de danse servant à enseigner les mythes et les hauts-faits des puissances héroïques au son du ukulélé, aux aèdes des temps homériques, aux théâtres d'ombre ou de marionnettes et autres opéras chinois ou bien aux lancinantes danses cambodgiennes. En Occident, on peut tracer une filiation à travers les légendes moyenâgeuses, les grands classiques romantiques et même certaines musiques modernes populaires qui véhiculent une thématique féerique.

- L'appel des îles -

Si les êtres féeriques ont marqué la littérature, ils ont aussi marqué de leur passage la musique, qui plus est l'un de leurs arts de prédilection. La lyre chantante d'Orphée entraînant arbres et bêtes sauvages du désert à ses pieds, le barde Taliesin, le chant des sirènes, le joueur de flûte de Hamelin... N'est-ce pas le conte traditionnel irlandais qui véhicule la « magie » ou plutôt le glamour féerique ? Le chant, parole faite musique, est un des véhicules de la magie et il en va de même des sons produits par un orchestre symphonique jouant « la Chevauchée Fantastique » sous la direction de la baguette (magique ?) d'un Karajan. Le caractère fantastique de la musique est ainsi représenté dans l'iconographie psychédélique de quelques groupes de rock anglo-saxons, à l'instar des dessins du Magical Mystery Pop de Jean Solé, ou à l'image de cette planche de Gotlib sur le renouveau du folklore celte dans Rock'n Folk Spécial où l'on voit un barde chanter un air venu du fond des temps, accompagné de sa harpe celtique, et les louveteaux du chef scout Hamster Jovial lui rétorquer d'un air goguenard : « Ils ont des chapeaux ronds… », illustrant définitivement deux visions modernes de la culture musicale féerique, l'une la sclérosant dans un monopole celtique et stéréotypé, l'autre l'assimilant à un simple cliché folklorique et dénué de toute magie.

A l'heure du Mp3 et des musiques électriques ou électroniques, les fées ont-elles encore leur place dans un art qu'elles ont maintes et maintes fois inspiré ? Suffit-il de se réclamer des traditions féeriques pour en être ? Wagner est-il plus féerique que Jimi Hendrix ?

Prélude à la musique : médium entre rationnel et imaginaire.

- Le son se forge une image dans le conte, comme on le voit aux références présentes dans cette collection de pochettes -

Le son permet de véhiculer de puissantes émotions : qui n'a jamais été surpris par un miaulement de chat la nuit, attendri par les chansons de son enfance ou admiratif devant le jeu d'un musicien ?

La musique fait entrer de plain-pied dans un monde surnaturel. L'on y ressent des rythmes envoûtants (le pied battant imperceptiblement la mesure – phénomène déjà perçu par les Grecs), des accords enivrants (les oreilles ne parvenant plus à saisir les instruments pris séparément), et surtout des images évoquées par l'harmonie ou la cacophonie ainsi créée.

La musique, réalité sensible, est un puissant véhicule d'imagination sous-jacent aux mots. Elle peut être utilisée pour imiter les cris d'animaux, le choc des armes, le ton d'une conversation… et, pour ce qui est de l'art du conte, pour créer une atmosphère propice à l'écoute ou reposer la voix après une longue description. Ainsi la musique s'accessoirise au conte, ce qui permet de capter l'attention et de plonger l'auditeur dans l'histoire même, en recréant l'ambiance environnante. Ainsi Berlioz nous raconte comment Chopin interprétait ses mazurkas : "Il y a des détails incroyables dans ses mazurkas ; encore a-t-il trouvé le moyen de les rendre doublement intéressantes en les exécutant avec le dernier degré de douceur... les marteaux effleurant les cordes, tellement qu'on est tenté de s'approcher de l'instrument et de prêter l'oreille comme on ferait à un concert de sylphes ou de follets".

Ce dont Berlioz nous parle, c'est peut-être de cette découverte fondamentale platonicienne selon laquelle la musique est « la nature mathématique de l'organisation des sons qui plaisent à l'oreille et bouleversent l'âme » – l'adage veut que la musique adoucisse les mœurs. Ainsi elle fait vibrer nos émotions comme une corde oscillant entre raison et irrationnel.

La légende antique veut, aussi improbable que cela paraisse, que Pythagore ait eu l'intuition d'un rapport mathématique exact entre les sons en entendant sonner sur l'enclume des marteaux de tailles différentes et en définissant, à partir de sons monocordes, les bases de la tierce, de la quarte, de la quinte ou de l'octave. Aurait-il perçu les marteaux des êtres telluriques forgeant aux côtés d'Héphaïstos, peut-être même les daktyloi (dont l'écho résonne chez les Nibelungen, puis le Heigh-Ho des 7 nains de Disney), laissant une porte ouverte aux réflexions des Aristoxène, Ptolémée, Iuba (inventeur des premiers instruments de musique), Amphion (inventeur du chant accompagné de cithare)… ?

- La superbe une de Rolling Stone illustrée par Maurice Sendak -

Le terme "conte" est un avatar du terme "compte". Tous deux sont issus du même mot latin putare signifiant "émonder les arbres" ou "apurer un compte". D'où aussi "amputer" et "computeur" (ordinateur) : arrêter un compte et calculer. Putativus a plutôt le sens de "imaginaire". Le terme "conter" - computare - a pris le sens de raconter - re-compter - à partir d'"énumérer". Le conteur ra-conte, énumère la mythologie dans le même sens que les "comptines". (qui servent souvent à compter et désigner un joueur). Nous avons là le sens d'un ordonnancement de la parole qui "met en ordre" la complexité des mythes. La mythologie est souvent transmise par les récits très rythmés des conteurs. Le mythe signifie aussi "récit". Le musicien "ordonne" le temps par son rythme et sa mélodie ; le conteur "ordonne" le temps par le rythme de sa parole et le ton de sa voix. Les deux démarches sont quasi-identiques en ce qui concerne l'acte de formulation. Sur le plan de l'expression, elles ont toutes deux la même force de structuration du discours, de la pensée et du temps. Toutes deux déconstruisent et reconstruisent le temps. C'est la grande richesse du conte que de véhiculer en même temps le sens et son ordonnancement rythmo-mélodique, en vue d'une cohérence et d'une compréhension.

Les Celtes, eux, ont toujours été très conscients des liens entre les mots et la musique. Pour un barde, sa harpe continue de parler lorsqu'il se tait ou quand les mots lui manquent, et quand elle accompagne un poème ou qu'il conte une légende, elle lui permet d'exprimer des mondes au-delà de la compréhension humaine. En complément des mots qui créent des images, donnent un corps aux idées, la musique permet le non-dit, le non formulé ou le non formulable. Comme un geste silencieux qui peut souligner ou contrarier le discours qu'il accompagne.

La musique est cette porte à double battant qui permet à l'auditeur de basculer dans des univers étranges et complets, des domaines spatio-temporels possédants leurs règles propres et qui dans la modernité se matérialisent concrètement sous forme d'images, s'habillent de clips, de pochettes de disques, de tenues vestimentaires, d'actions scéniques, etc. Chaque univers correspond à des genres : odes, péans, ragas indiens, marches funèbres, musique militaire… associés à des styles d'exécution qui correspondent à des atmosphères émotionnelles particulières desquelles se jouent les fées. Et pourtant, là encore, toute cette débauche d'imagination est issue de processus très concrets et d'actions mécaniques : le marteau qui vient effleurer la corde du piano, la glotte qui se soulève sous la pression des déplacements d'air dans le corps humain, ou de simples percussions de la main sur une caisse de résonance.

La musique et les mythes fondateurs

- Un héros scandinave plus dextre qu'Hendrix se défait d'une épreuve, jouant de la harpe avec les pieds  -

Les êtres féeriques sont souvent à l'origine des instruments, y résident ou en jouent, et sont représentés comme tels en peinture ou en sculpture. La nymphe Syrinx qui donna son nom à la flûte de Pan dans les plaines d'Arcadie, l'hélicon, un instrument proche du canon dont le nom est celui du mont des Muses, les cymbales de Cybèle, les bakyllion asiatiques de Dionysos, l'écheion du culte mystique de Déméter, le gamelan chantant le Ramayana aux Dieux, les polyrythmies animistes d'Afrique ou les pow-wows amérindiens évoquant les exploits de Père Coyote. Sans aller jusqu'à rapporter toutes les légendes associées à la musique, on peut énumérer les grandes fonctions qu'occupe la musique dans les légendes.

L'apparat des puissants

- Quand Johnny se prend pour le King, on obtient une pochette très étrange -

Objet de pouvoir, bien entendu, surtout chez les peuples issus de tradition orale, on la retrouve souvent chez les dieux (Bes, Minerve, Apollon, Pan…), chez tous les héros de grands mythes à l'instar du Dagda, dieu-druide des Tuatha Dé Danann et deuxième personnage du panthéon irlandais, qui était à ce propos le détenteur de la harpe magique renfermant toutes les mélodies. La musique habite les pays merveilleux (les luths des Apsaras et Gandharvas indiens, des Houris persanes ; au Danemark, les fées sont les nokka, musiciennes nocturnes…) ou même chez les hommes : on la retrouve chez le roi Amphion, fils du dieu Zeus, excellent musicien, les grands devins (Merlin, Tirésias…) et le Roi-Soleil Louis XIV. Enfin les puissances de l'Autre Monde aiment s'annoncer en musique, qu'elle soit magnifique ou terrifiante : Kingmingoarkulluk inuits et Leanan-Sidhe irlandaises ; inversement, les chants jivaro sont utilisés pour ne pas effrayer les esprits de la terre mère Nunui. Il s'agit donc d'un véritable point de rencontre entre le visible et l'invisible.

L'instrument du pouvoir sur les émotions, les hommes, les animaux et la nature

- Les Sirènes de Böcklin -

La musique protège des esprits malins. Aristote raconte que sur les bords de la rivière Escamandros poussait une plante appelée sistro, appartenant à l'espèce des pois-chiches et dont les graines séchées produisaient, quand on les secouait, des bruits doux qui, selon la croyance, effrayaient les esprits malins. Comme la musique chasse le silence, de même que siffler devant le redoutable Capeu Rogné (Redcap) de Picardie le fait fuir, la musique jouée ou chantée permet de se protéger des forces surnaturelles.

Grâce à elle, l'homme avait la possibilité d'agir sur les esprits qui l'entouraient et sur les mondes invisibles. Dans le chant XIX de l'Odyssée, nous pouvons relever qu' "à l'aide du chant magique, ils arrêtaient le sang noir", ce qui prouve à quel point les poèmes homériques ont conservé des traces de la puissance de la musique.

Le file désigne une catégorie de nobles bardes irlandais, capables, en une satire, de maudire, blesser ou même tuer un individu ou un roi.

La harpe celtique de Dagda était un objet de grande puissance. Elle pouvait jouer sur l'humeur des humains, leur esprit, du rire aux larmes selon la mélodie jouée. Elle pouvait également, de la même façon, jouer sur les saisons. Angus, fils de Dagda, posséda cette harpe, faite d'or, et sa musique était si douce que l'on ne pouvait s'empêcher de suivre celui qui en jouait.

Par ailleurs, à ses débuts, la tragédie était avant tout un chant, le chant (odos) du bouc (tragos) ; mais selon certains auteurs, il s'agirait du chant du grain de blé (également tragos). Animaux ou végétaux, ceci témoigne d'une volonté de leur donner la parole, une émotion voire même une âme, soit un anthropomorphisme qui marque souvent les légendes : on le retrouve dans les fables d'Esope (à l'origine des contes classiques), le « Roman de Renard » français, mais aussi les légendes sur le renard asiatique ou les fables amérindiennes.

Le concours

- Les monstres charmant Ulysse de leurs chants, celui-ci ayant fait le pari de s'enchaîner au mât pour pouvoir les entendre -

La parole, le mouvement corporel et le jeu musical ne sont que les trois faces d'un même mode de formulation. Les Grecs, par exemple, n'imaginaient pas pratiquer ce que nous appelons le "sport" sans accompagnement musical, chants et instruments. Les participants aux jeux olympiques étaient tenus de subir, dès le départ, une épreuve musicale de chant. En Iran, le varzech bastanè (exercice antique) rend compte, aujourd'hui, de ce que pouvait, sans doute, être l'exercice du corps chez les Grecs. Ce travail global, pratiqué dans les zourkhanè (demeures de la force) allie l'instrument et le chant en une unité que nous avons perdue dans nos pratiques. Le théâtre iranien tazieh nous en donne une vision remarquable. Les concours appelés Pythia qui se déroulaient à Delphes, célèbre pour sa pythie dont l'oracle était annoncé au son des cloches, étaient presque aussi célèbres que ceux d'Olympie, avec des épreuves gymniques, hippiques et musicales : aulos (flûte) et chant accompagné à la cithare. Parmi les épreuves imposées en musique, on trouvait un "morceau à programme", en cinq parties, au cours duquel le musicien relatait le combat entre Apollon et le serpent Python, fils de la terre, pour conquérir le sanctuaire de Delphes :

Introduction : le dieu se prépare à la lutte ;
Provocation : le dieu défie le serpent ;
Combat ;
Prière : Apollon danse, victorieux ;
Ovation : sous un chant triomphal le serpent expire dans d'horribles sifflements.

Le musicien devait démontrer son talent personnel et sa virtuosité, car chaque partie avait ses contraintes mélodiques et rythmiques. Ainsi, dans l'épisode final, un bon aulète avait l'obligation de monter d'un octave et d'imiter aussi bien qu'il le pouvait les « grincements de dents » d'un monstre agonisant.

On raconte aussi qu'un jour Marsyas, un satyre, prétendit qu'il jouait mieux de l'aulos qu'Apollon ne jouait de la lyre. Un concours eut lieu et Apollon, qui n'aimait pas les concurrents, ne fut pas déclaré vainqueur. Il tua aussitôt le malheureux satyre. Quant au juge Midas qui présidait le concours, il avait donné sa préférence à l'aulos, ce qui lui valut de la part d'Apollon des oreilles d'âne. Cette tradition du concours a perduré au Moyen-âge avec les écoles de maîtres de chant, et l'affrontement au son de la musique imprègne encore d'autres légendes appartenant au répertoire religieux. Ainsi, un film sur le blues, « Crossroads », raconte une histoire maintes et maintes fois racontée par les chanteurs noirs : l'artiste qui achète son talent musical au diable contre son âme, à la croisée des chemins (version du mythe de Faust influencée par Hermès, dieu grec des marchands qui donna la lyre à son frère Apollon et qui aime apparaître à l'intersection des routes). Le film se conclut par un duel à la guitare opposant l'acteur Ralph Macchio, l'ex « Karaté Kid », au célèbre guitariste américain Steve Vai, dans le rôle du diable.

Le rapt

- Le cercle de danse féerique -

Les fées adorent interagir avec les humains quand la musique entre en lice. Le grand classique du chant des sirènes d'Ulysse permet aux créatures aériennes de dévorer les marins envoûtés, tandis qu'Argus, le géant aux 100 yeux (également appelé Panoptes) était chargé par Héra de la garde d'Io dont elle était jalouse. Hermès, envoyé par Zeus, sauva la belle en endormant le géant à l'aide de sa harpe puis en lui coupant la tête. En mémoire, Héra en fit un paon dont la merveilleuse queue fut constellée des yeux du géant.

La fairy galloise et les patu paiarehe maoris aiment vous entraîner dans leurs cercles musicaux de danse frénétique, tout comme les tylwyth teg galloises qui, à l'instar des trows des îles Shetland, capturent de cette sorte les musiciens qui se joignent à eux. Une autre légende raconte qu'à Cader Idris, ces derniers ont même donné une harpe enchantée à Morgan Rhys. L'instrument joue seul si on touche à l'une de ses cordes.

Le petit peuple ou sleigh beggey ou veela des Balkans vous charme par la musique et vous emporte avec lui. Etrangement, il a été chassé dans les collines par le vacarme des machines. Le sotré vosgien calme les enfants de ses berceuses et aime tellement les enfants qu'il en profite quelquefois pour les emporter, tandis que le fossegrim, esprit chanteur des cascades norvégiennes, est attiré par les belles sonorités. Cette fois c'est l'humain musicien qui charme la fée.

L'éducation

- L'éducation de l'ouïe, la musique et la dame à la licorne -

La musique sert également à instruire les futurs héros. Tristan se voit élevé par son oncle Marc. Il s'attire l'admiration de tous par son talent aux armes, à jouer de la harpe, et par sa beauté. Morholt, beau-frère du roi d'Irlande, qui opprimait le peuple du roi Marc, trouve la mort face à Tristan. Notre héros, gravement blessé toutefois, trouve une barque dans laquelle il dérive vers l'Irlande. La reine d'Irlande, qui a devant elle le meurtrier de son frère, le guérit néanmoins et lui demande d'initier sa fille Iseult à la musique, début d'un amour maintes fois chanté par les troubadours du moyen-âge.

Chiron, fils de Saturne et de Fillira, est le plus célèbre et le plus savant des Centaures. Dans sa jeunesse, il a souvent participé aux chasses de Diane. Sa grotte fut tenue pour la plus célèbre école de la Grèce ; et de fait, la majeure partie des Argonautes et des héros de son temps lui furent redevables de leur éducation. Il était également un joueur très expérimenté de lyre au son de laquelle, disait-on, il avait même guéri des malades. Entraîneur de champions, il a eu sous son enseignement Apollon, Jason, Hercule et bien d'autres héros.

La musique conserve donc une place importante dans l'éducation car la lyre et le chant restent les véritables éducateurs des jeunes gens. La mousikè grecque n'est pas un synonyme exact de notre musique ; elle englobe un champ beaucoup plus large que la musique. Elle désigne d'abord une activité intellectuelle et physique, protégée par les Muses. Les principales matières enseignées sont l'Histoire, la Danse et la Musique. Dès lors qu'un enfant apprend à lire, écrire, compter et chanter, on dit qu'il devient mousikos.

La nymphe Calypso (qui donnera bien plus tard son nom à un genre musical) et Circé la magicienne, devant leurs métiers, se plaisent à chanter ce que l'on pourrait appeler des chansons de toile, une ancienne méthode pour se remémorer les manipulations sur un métier à tisser et s'enseigner les traditions. L'enseignement chanté se retrouve partout où l'écrit n'est pas encore totalement implanté, comme chez les druides celtes par exemple : si Merlin est un enchanteur, c'est qu'il est avant tout l'un des meilleurs bardes d'Angleterre. Au coeur de l'enchanteur, il y a l'incantation - in cantare - mise en chant. Le conte, d'une certaine manière, est une mise en chant. Son "travail" opère au coeur même des processus de symbolisation et c'est là que réside à la fois la fascination qu'il inspire et son efficacité.

Le strömkarl aux 11 mélodies est quant à lui un expert de la musique. Il joue souvent les 10 premières mélodies et, si jamais il joue la 11e, quiconque l'entend par hasard se met à danser : homme, chien, vieillard… Si jamais un musicien lui offre un mouton noir en sacrifice, l'être féerique lui touchera la main et l'homme deviendra un véritable virtuose.

L'alerte

- Gravure de Mélusine et affiche de concert des 70's illustrée de mandragores psychédéliques -

La musique, surtout le chant, souvent associée au pouvoir, sert aussi à alerter d'un danger. Ainsi Mélusine chante-t-elle quand un événement grave se produit ou lorsqu'un membre de la famille des Lusignan décède. Son nom a diverses origines dont nulle n'est vraiment officielle, mais on remarquera que l'une d'elles vient du latin melus, « mélodieux » selon le Littré. Bien entendu, ce chant se rapproche du chant des banshees et plus encore de la hurlée des chiens de chasse annonçant un enfant mort-né ou des cors de la Grande Chasse qui permettent aux personnes qui les entendent de se mettre à l'abri de son terrible pouvoir. De la même façon, la musique reste ambiguë, puisque certaines créatures féeriques comme les laminaks, photosensibles, fuient au chant du coq ou à son imitation, car elles savent qu'il signale le lever du soleil tant haï.

Le silence

- Affiche de Led Zeppelin imprégnée du silence et influencée par le Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien -

Enfin, on note quelques exemple où la musique brille par son absence, les fées préférant un silence absolu. Le nikker et la loireag écossaise viennent faire taire celle qui chante (souvent près de l'eau), et paradoxalement le tambour du conte de Grimm menace le géant de jouer une musique militaire appelant l'armée à la rescousse pour abattre son interlocuteur.

Car les fées aiment aussi tirer parti du silence, de sorte qu'en Allemagne on appelle le petit peuple stille volk ou peuple du silence, préférant rester invisible ou caché. Après tout, la croyance populaire souligne que les fées ne se révèlent, y compris musicalement, qu'à ceux qui souhaitent bien les voir.

La guérison

- La musique psychopompe d'Orphée -

Le conte est une tentative de reconstruction visant à l'accès au symbolique, c'est-à-dire à la parole. C'est ce qu'on appelle la symbolisation. Elle seule redonne un sens à l'humain et plus encore lorsqu'il est souffrant, ou morcelé, qu'il n'est plus tout à fait lui même physiquement ou psychologiquement. Cette parole ne peut exister pleinement si elle ne s'enracine pas dans le mouvement du corps, du rythme et de la mélodie. Le retour aux origines du langage et aux procédés traditionnels de l'expression humaine nous conduit aux formes dramatiques des sociétés dites de style oral. La parole est souvent mise en chant (incantée) et le plus souvent dansée ou mimée par exemple dans les actes de thérapie : guérison des maladies ou des blessures pratiquée par les chamanes, exorcismes latins de prêtres chrétiens, ghost dances paiutes pour le réveil des morts ou autres transes de la magie vaudou pratiquées par le boko.

Du médiéval au classique

Aujourd'hui, dans les mentalités occidentales, la catégorie "contes" ne s'associe pas nécessairement avec le jeu musical. C'est que les contes sont presque toujours placés du côté du "littéraire". On avance alors l'appellation de "littérature orale", sans penser qu'on pourrait tout aussi bien dire "oralité littéraire". Mais la prépondérance de la "littérature" (la "lettrure" comme on disait autrefois) est nette. Son pouvoir n'est jamais remis en question. On peut remarquer, par exemple, combien les contes des "mille et une nuits" sont farcis de chants mais, quelles qu'en soient les traductions, leur lecture ne dit rien de leur rythme ni de leur contage oral avec le ton, la mélodie, les silences, les respirations et le mouvement des corps. La logique de l'écriture trahit aussi bien leur mode oral qu'une bonne partie de leur sens et de leur contenu. Dans le discours courant, la catégorie "contes" ne se distingue pas clairement de la catégorie "littérature" qui rassemble la puissance de l'écrit. Les contes sont connotés le plus souvent par la naïveté, la simplicité, le mystère, le populaire et le mythique. Ils s'examinent et s'analysent à travers la logique de la littérature.

Ce sont pourtant le chant et la musique qui ont permis la transmission des légendes et du folklore. Les troubadours ont écrit des chants et des ballades pour s'aider à se rappeler les histoires et contes. On parle alors de chansons de geste, la plus connue étant la « Chanson de Roland », écrite au XIIème siècle, qui, si elle relève de l'épopée fougueuse, demeure empreinte de féerie : l'incassable Durandal, le cor de Roland appelant Charlemagne et ses 100 paladins… Le cycle carolingien a pour équivalent britannique la légende du roi Arthur. Les cycles auxquels font référence les légendes comme celles d'Arthur ou de Tristan sont nés peu après 1150 en France. Les troubadours utilisaient la langue d'Oc ou le provençal au XIIe et XIIIe siècles pour écrire les chansons et la poésie. Leur itinérance permit à ces histoires de voyager : le sujet principal était l'amour courtois, en vogue chez les nobles de l'époque, d'où la référence systématique à Tristan, contrairement au roi Arthur qui ne mérite pas autant d'attention.

- La Harpe Irlandaise en évidence aux côtés de Tristan, d'Iseult et… le tout sous le regard du Roi Marc -

Etrangement, cette période de l'histoire ne se caractérise pas forcément par sa créativité, mais surtout par la volonté de transmission des connaissances en dépit d'autres supports fiables. Cependant, les quelques termes utilisés, noms de personnages ou de lieux, avaient une telle force poétique qu'ils étaient capables d'évoquer ces univers mystérieux, transportant les auditeurs au cœur de la scène chantée, quelquefois même jusqu'à en être acteurs. Plus au nord, on constate le même goût pour l'épopée avec les grandes sagas comme « The Life and Death of Cormac the Skald » ("Kormak's Saga") rédigée en Islande entre 1250 et 1300. Nées entre l'eddaique et le scaldique, ces histoires mettant en scène les géants et les peuples du froid ont considérablement enrichi l'imaginaire de créatures fabuleuses, notamment en Allemagne où l'influence des chansons de geste se fit sentir. Déjà Eginhart, conseiller de Charlemagne, faisait mention de recueils de chants germaniques (dont l' « Hildebrandslied » datant du VIIIe siècle) qui donneront naissance à la chanson primitive des Niebelungen, diffusant le genre de la Méditerranée à l'ensemble du continent.

Les travaux les plus récent concernant le mythe arthurien sous l'angle musical le font remonter à la ballade, "a pleasaunte history of an adventurus knyghte of knygges Arthurs Couurte" de Richard Jones en 1565-66. De là, son histoire se poursuit jusqu'au XVIIIe siècle. Les "Reliques of Ancient English Poetry" de l'évêque Percy sont parues en 1765. Cette collection comprend six ballades sur des thèmes arthuriens. La 6e raconte l'histoire traditionnelle d'une femme très laide qui se transforme en magnifique dame. Elle raconte la même histoire que la romance du XVe siècle "Le mariage de Sir Gauvain et de Dame Ragnell ». D'autres chansons traditionnelles celtes ont été tirées de la romance arthurienne. La chanson gaelo-écossaise "Am Bron Binn" ("le doux chagrin"), raconte l'histoire d'Arthur ou Sir Bhalbha à la rescousse d'une dame dans un château insulaire. Cette chanson est toujours chantée dans la tradition orale. Une autre œuvre, "laoidh an Amadain Mhoir" ("Le lai du Grand Fol"), a suivi le même chemin.

En redécouvrant successivement les anciens textes d'où proviennent les contes d'antan, on peut constater des vagues de renouveau féerique tant sur le plan de la production littéraire que sur le plan musical. Ainsi, les archives du folklore de Laval au Québec référencent qu'à l'heure actuelle, les neuf dixièmes des chansons recueillies jusqu'ici sont issues de celles qui arrivèrent avec les colons entre 1665 et 1673. Cela signifie qu'il a fallu moins de dix ans de colonisation pour que se constitue un fond incroyablement riche de chansons provenant de la plupart des provinces de France, et ce fond s'est transmis pendant deux cent cinquante ans en subissant très peu d'altérations. Ainsi les Grecs se transmirent-ils l'Iliade et l'Odyssée. Notre légende à nous, notre mémoire collective, c'est notre folklore : ses rythmes, ses modes musicaux, ses paroles naïves et descriptives nées du rapport étroit de l'homme avec la terre et l'eau d'où il tirait sa subsistance...

- « Explicit Lyrics ? » Un double album de King Crimson revendiquant ouvertement ses origines dans les thèmes médiévaux -

Cette même dimension légendaire a connu une nouvelle vague avec la Renaissance italienne, puis les grands succès romantiques, et touché également la musique classique avec des influences liées aux découvertes ou redécouvertes : orientalisme, influence de la musique russe et de son bagage culturel fleuri de folklore, au point de nommer certaines compositions de noms évocateurs comme la fantaisie. Les « Contes » d'Hoffmann, à la thématique féerique forte, sont par exemple un des sommets du répertoire du XIXe siècle et restent aujourd'hui, avec « Carmen » de Bizet, l'opéra français le plus joué au monde. C'est également pendant cette période que de nouvelles légendes sont nées concernant les auteurs eux-mêmes : ainsi la légende court sur les 16 dernières mesures du Parsifal de Wagner qui auraient été volées à Palerme par une admiratrice, la marquise de Coventry.

Par ailleurs, en musique, le mot fée a servi de titre à de nombreux opéras ou opérettes. Parmi ces oeuvres, « la Fée Urgèle », opéra-comique en quatre actes, paroles de Favart, musique de D'uni, représentée à la Comédie-Italienne en 1765 ; « la Fée aux Roses », opéra-comique en trois actes, paroles de Scribe et de Saint-Georges, musique d'Halévy, représenté à l'Opéra-Comique en 1849 ; « la Fée Carabosse », opéra-comique en trois actes, paroles de Cogniard, musique de V. Massé, représenté au Théâtre Lyrique, en 1859 ; « les Fées », opéra, paroles et musique de Richard Wagner, représenté après la mort de l'auteur, en 1888, au Théâtre Royal de Munich ; « la Fée aux Chèvres », opérette féerique en trois actes et quatre tableaux, paroles de Paul Ferrier et Albert van Loo, musique de Louis Varney, représenté à la Gaîté, en 1890.

Plus encore, on peut s'intéresser de plus près aux échanges entre musique et conte, des liens biens illustrés en la personne d'Hans Christian Andersen, le célèbre auteur de contes de fées. Ses attaches aux contextes musicaux sont très fortes comme en témoigne son étrange poème écrit en 1831 « Formens Evige Magi », ou « Magie éternelle de la Forme », directement inspirée du philosophe et mathématicien grec Pythagore et de son théorème du carré de l'hypoténuse. Il coopéra en personne avec les compositeurs danois de son époque au point que, dès l'âge de 24 ans en 1829, il fit ses débuts en tant qu'auteur de Vaudeville avec « Kærlighed paa Nicolai Taarn » (L'Amour dans la tour Nicolai), premier drame musical d'une longue série de travaux. En 1832, d'autres oeuvres très sérieuses sont parues : le jeu de chant « Bruden fra Lammermoor » (la Fiancée de Lammermoor) mis en musique par Bredal, et l'opéra « Ravnen » (Le Corbeau) sur une musique de J.P.E. Hartmann. Cette collaboration a été fructueuse dans les années qui suivirent, avec comme aboutissement l'opéra « Liden Kirsten » (Petit Chaton) en 1848, qui demeure jusqu'à ce jour l'une des plus belles oeuvres du répertoire danois.

Du point de vue international, Andersen avait des relations très étroites avec Franz Liszt, Felix Mendelssohn, Johan Bartoldy, Richard Wagner et Robert Schumann, qui composa « Fünf Lieder » op. 40, dédié à Andersen. A sa mort en 1875, ses confrères connurent un grand succès public dans l'interprétation musicale de ses oeuvres (les libretti pour opéra et ballets écrits dans sa jeunesse). Bien entendu, on retient aujourd'hui de lui sa production de contes, célèbre pour sa créativité et inspirant pléthore d'auteurs. Ainsi, dans « la Reine des Neiges », Andersen exprime également son attachement à la musique en mentionnant l'hymne de Brorson « Den yndigste rose », en le citant explicitement et en arrangeant quelques vers : « Oh, seek in the lowliest places and weep in the dust for Our Saviour; for then ye shall speak with Lord Jesus, for roses they grow in the valleys".

L'une des premières compositions s'intéressant à son oeuvre littéraire a été le programme musical pour orchestre "Quatre histoires par H.C. Andersen, mises en musique par Johan Ole Emil Hornemann", qui connut sa première représentation dans les jardins de Tivoli en 1848, c'est-à-dire alors qu'Andersen était encore en vie. L'opérette de Bartoldy "Svinedrengen" en 1886 fut la première adaptation mélodramatique d'une histoire d'Andersen. En 1930, l'auteur danois Gustav Hetsch, dans son ouvrage « H.C. Andersen og Musiken » (Copenhague, 1930), ne lista pas moins de 29 compositeurs nordiques (22 danois) qui ont écrit, ont basé leur oeuvre ou ont été inspirés par Andersen. Une quantité indénombrable d'autres auteurs ont depuis fait de même. Parmi les plus célèbres on peut citer August Enna, Fini Henriques, Gunnar Berg, Poul von Klenau, Håkon Børresen, Finn Høffding, Ib Nørholm, Sven Erik Werner et Fuzzy...

- Les contes se mêlent aux artistes dans d'étonnants jeux de mimétisme : le joueur de flûte de Hamelin est évoqué dans le jeu corporel de Ian Anderson et la folie qui entraîne des centaines de teenagers américains, les deadheads, sur les traces de l'interminable tournée des Grateful Dead. -

Chez les compositeurs étrangers, on peut bien évidemment citer Alexander Zemlinsky et Arthur Honegger (tous les deux pour « La Petite Sirène ») ou bien Igor Stravinsky. Plus récemment, en 1999, le label Dacapo sortit un CD sur le marché international, avec l'orchestre symphonique d'Odense qui jouait 3 symphonies tirées des textes d'Andersen : « Det er ganske vist » (1943) de Finn Høffding's, « Det utroligste » (1997) de Sven Erik Werner et « Konen med » (1998) de Fuzzy. Il en est de même de l'opéra de chambre de Svend Hvidtfelt Nielsen avec « La Petite Sirène » (1999-2000), joué pour la première fois à l'Opéra de Funen le 6 mai 2000, au point d'aboutir à un projet très ambitieux : le « Symphonic Fairytales », soutenu par le gouvernement danois et son ministère de la culture pour le 200e anniversaire d'Andersen, le 2 avril 2005.

Cet attrait pour la musique se retrouve dans d'autres contes d'autres auteurs : les Frères Grimm avec les musiciens de Brême, le joueur de flûte de Hamelin, Cendrillon et son bal, et du côté des musiciens on peut citer brièvement Tchaïkovski et le « Lac des Cygnes », « Peer Gynt » d'Eward Grieg, et plus particulièrement Ravel, renommé pour avoir conservé une âme d'enfant et qui ne quitta jamais l'univers des contes de fées. Il aimait beaucoup les enfants et tout particulièrement Minnie et Jean Godebski, les enfants d'amis intimes. Bien des années plus tard, Minnie se souvient de comment « Ravel me racontait des histoires merveilleuses. Je m'asseyais sur ses genoux et, inlassablement, il commençait par « Il était une fois... » ». C'est pour Minnie et Jean qu'il composa « Ma Mère L'Oye » entre 1908 et 1910. Il écrivit plus tard dans une note autobiographique qu' « évoquer dans ces morceaux la poésie de l'enfance m'amena à simplifier mon style et à raffiner mes moyens d'expression. »

Ravel se tourna vers Charles Perrault, l'un de ses conteurs préférés, pour le titre de la suite et des deux premiers morceaux. Le mouvement d'ouverture, de seulement vingt mesures, atteint ce qu'il y a de plus simple et de plus poignant grâce à sa connaissance instinctive de l'équilibre et de la mesure. Le second a pour en-tête un passage du « Petit Poucet » et raconte la surprise de celui-ci quand il s'aperçoit que les oiseaux ont mangé les miettes de pain grâce auxquelles il pensait retrouver le chemin de sa maison. Dans le troisième, l'impératrice Laideronnette se baigne alors que des créatures minuscules (les pagodes et les pagodines) jouent de la musique sur des coques de noix et dans les « Entretiens de la Belle et de la Bête », la description musicale de la transformation de la bête en prince « plus beau que l'amour » est à couper le souffle. Le dernier mouvement, « Le jardin féerique », est issu de l'imagination de Ravel et sert d'apogée euphorique.

Les nouveaux conteurs

Qui est votre conteur préféré ? Votre grand-mère ? Votre écrivain favori, tel chanteur ou tel musicien ? En 1780, Carl Ditters von Dittersdorf combina les éléments formels d'une symphonie avec des contes mythologiques dans ses 12 symphonies sur les « Métamorphoses » d'Ovide. Au XIXe, la tonalité orchestrale et les suites symphoniques donnèrent aux compositeurs assez de liberté pour se livrer à de longs spectacles permettant de raconter des histoires. La suite symphonique de Nikolaï Rimski-Korsakov « Scheherezade » raconte par exemple une histoire où l'on raconte une histoire. Certaines histoires n'ont pas de temporalité et continuent d'inspirer les compositeurs (les favoris sont Shakespeare, Peter Illich Tchaïkovski, Hector Berlioz et Sergei Prokofiev).

- Deux pochettes étonnantes illustrant Prokofiev, la plus naïve cachant un célèbre conteur : Sting -

Les échanges entre contes et musique ont atteint un tel degré qu'un véritable genre musical et littéraire est apparu : le conte musical, auquel les plus grands ont participé, mettant en musique les grands standards de la littérature enfantine. Il s'agit d'un genre à part entière, mêlant musique et narration, par exemple « Emilie Jolie », un conte musical de Philippe Chatel avec Eddy Mitchell (le loup), Georges Brassens (le hérisson), Robert Charlebois (le lapin bleu), Louis Chédid (le raton laveur rêveur), Julien Clerc (le grand oiseau), ou « Pierre et le loup » de Serge Prokofiev, raconté par Fernandel puis Pierre Tchernia, Jacques Brel, Renaud... Parmi ces textes musicaux on peut noter un véritable aboutissement en la matière avec « Piccolo Saxo et compagnie ou la petite histoire d'un grand orchestre » d'André Popp, où l'histoire est racontée par une voix humaine mais les phrases sont dites par des instruments de musique qui sont également les acteurs de ce conte moderne.

Ceci nous renvoie à deux artistes et deux procédés musicaux permettant de donner la parole aux instruments : la pédale wah-wah de Jimi Hendrix, plus qu'une rock star, véritable expérimentateur sonique, qui fut le premier à l'utiliser de sorte, à faire parler, crier ou hurler son instrument ; et la talk-box, une pédale qui lie les sons produits par la bouche du musicien via un micro à ceux de l'instrument, popularisée par Peter Frampton, Joe Walsh, Bon Jovi ou le groupe Aerosmith. Ce n'est plus la main qui dirige la machine mais la voix qui s'unit à elle dans le plus pur style musical des 70's.

De pays imaginaires aux forces (sur)naturelles

-Logos et pochettes de disques vous emmennent dans des contrées lointaines... -

Un mythe communément répandu attribue à la musique un lien très étroit avec la terre. Les Gaëls l'appellent Fonn, un mot signifiant à la fois mélodie, musique, pays, terre, avec une signification poétique : Fonnsheen, musique des Sidhe ou peuple des fées. Les poètes ont un mot pour évoquer la musique du vent : le Ceol na mara, le chant de la mer, qui matérialise les rythmes et rimes internes des chansons de l'autre monde. Chez les Celtes, les mots appartiennent à l'intellect, la musique à l'instinct. On retrouve cette classification en Inde ou mots et chant relèvent respectivement de la Terre et du Ciel ; chez les Chinois, la musique est de l'ordre du Céleste. Là où les mots ont le pouvoir de créer et de symboliser un monde manifeste, la musique nous met en harmonie avec le non manifesté. La harpe en est l'expression mondiale la plus répandue, instrument appelé « pont entre Ciel et Terre », que l'on retrouve dans les mains d'Apollon et dans celle des angelots des fresques baroques, et symbole de nombreux pays à la culture féerique prononcée dont l'exemple le plus marquant est l'Irlande.

- ... peuplées d'êtres imaginaires et de créatures étranges comme la Manticore, Logo du groupe Emerson Lake And Palmer -

Nombreux sont les pays merveilleux qui accueillent la musique en leur sein. Au 1er siècle av JC, Pline l'Ancien décrivait une population de pêcheurs habitants des îles germaniques. Appelée les auriti, ou les tout-en-oreilles, leurs organes de perception auditifs étaient si grands qu'ils recouvraient la totalité de leur corps. On dit qu'ils s'aidaient de ce sens pour pêcher les poissons qu'ils écoutaient à la surface de l'eau. Il nous parle également du pays des basilics au sud de l'Afrique, dans un désert brûlant où ces serpents terrorisent les populations. On raconte que ces créatures, dont le regard toxique tue à distance, avaient peur du chant du coq. Près de la côte, vivent les manticores, de gigantesques lions rouges au visage humain, aux yeux bleus, à la triple rangée de dents aiguisées comme des couperets, à la queue de scorpion. Leurs voix sonnent comme une flûte ou une trompe.

On pourrait citer encore l'île musicale d'Alfred Jarry dans « Gestes et Opinions du Docteur Faustroll, Pataphysicien » où les instruments poussent comme des plantes et où les astres jouent de la musique ; l'île aux musiciens décrite dans une suite du « Gulliver » de Swift par l'Abbé Pierre François Guyot Desfontaines, où pas un son n'est entendu excepté ceux des instruments (les habitants possèdent une voix mélodieuse, proche du suédois !) et où les jardins et maisons ressemblent à des partitions ; la vallée du Musicker de Frank Baum (« The Road to Oz ») où le seul habitant, Allegro da Capo, est un petit homme rond à la forte respiration musicale semblable à un disque rayé dans un phonographe (ce qui explique pourquoi personne d'autre n'habite dans le coin) ; les îles Tohu et Bohu renommées pour leur pauvreté et leur misère en raison du géant Bringuenarilles qui mangea et but tout ce qui pouvait exister sur ces îles et dont le système digestif ne se montra pas à la hauteur (François Rabelais, « Pantagruel ») - on imagine le son organique, mais nous nous éloignons peut-être de notre sujet…

- Un bedonnant Gargantua issu d'un double du groupe Gentle Giant -

Les influences artistiques ont été multipliées par la découverte de terres mystérieuses, et chaque culture découverte ou redécouverte a permis l'introduction de l'imaginaire local : l'orientalisme et ses djinns, le nationalisme britannique victorien, le pompeux son wagnérien et son lot de nains et dames du Rhin, la bohême de Dvorak et ses water goblins... La fin du XIXème, marquée par le réveil des nationalités, a exacerbé ce retour aux sources des mythes fondateurs et la redécouverte des légendes qui, désormais, constituaient le patrimoine culturel populaire d'une nation. Ceci a conduit peu à peu vers la récupération de ces thèmes par la propagande : le nationalisme mystique en Europe (encombré d'Atlantes et de délirantes théories scientifiques), l'americana aux USA (le mythe de l'Oncle Sam, le bigfoot et autres théories fortéennes...), les mythes russes réarrangés et modernisés par le communisme pour supplanter les traditions d'Europe de l'Est et d'Asie.

Le revival

De nouvelles formes musicales émergeant au XXe siècle vont perturber un temps la thématique féerique de la musique. C'est une nouvelle fois le folklore qui va véhiculer les légendes, et dans ce grand chaudron se mélangeront d'autres épices exotiques et principalement les mythes africains ou amérindiens, avec l'émergence du jazz, de la musique atonale et de celle dite pop. Même si l'influence écrasante des religions marque ces nouvelles inventions dans lesquelles on devine souvent la thématique féerique, la musique demeure un terreau fécond pour des mythes, contes et légendes inspirés par la réalité : les destins tragiques de rock stars (Otis Redding) ou leurs réapparitions fantasmées (Elvis), les morts suspectes à l'âge de 27 ans (Jim Morrison, Jimi Hendrix, Janis Joplin ou plus récemment Kurt Cobain), le bluesman Al Johnson et son don surnaturel pour la musique, le mythe de Stagger Lee, l'une des nombreuses légendes modernes afro-américaines du milieu du XXe siècle et qui est devenu un véritable repère folklorique au sein de la communauté noire américaine. Il s'agit de la légende populaire de Stagger Lee dont l'histoire n'est jamais très précise, mais reprise en musique de nombreuses fois par des chanteurs folk ou blues : c'est un classique. L'histoire présente toujours les mêmes référents (acteurs, trame générale, décors…), même si les atours varient en fonction des influences personnelles de chaque conteur.

- Miles Davis, icône du jazz, abordera souvent des thèmes féeriques mâtinés d'exotisme… pour rentrer dans la légende des « géants du jazz » -

Voici l'histoire de ce conte moderne : « Au soir de Noël de 1940, une pleine lune éclairait la ville. Stagger Lee rencontra Billy le Lion, au Baquet de Sang, un bar mal famé d'une ville où se mêlaient vice et jeux. Lee assassina l'autre homme tout simplement parce que Billy avait remporté le stetson de Lee au jeu et ce dernier court toujours, nul ne peut l'arrêter, pas même le diable, car il est libre ». De nombreuses interprétations ont été faites concernant l'identité des protagonistes mais les recherches n'ont jamais vraiment abouti. Le travail de recomposition effectué par les artistes de blues est proche de celui des contes, et même si le fantastique n'y est pas flagrant et si le christianisme a laissé son empreinte sur cette histoire, elle demeure chargée de mythes fondamentaux et fondateurs pour la communauté noire américaine, à tel point que l'on la ressent dans le « I shot the Sheriff » de Bob Marley ou chez Greil Marcus, référence journalistique en matière d'histoire de la musique électrique et auteur d'une biographie de Sly Stone. Cette légende (ou probable histoire) est certes plus proche des westerns spaghettis (mais ô combien succulents !) que des « Contes de ma mère l'Oye », mais l'on y retrouve le sel, la sonorité légendaire et surnaturelle qui compose tous contes.

Musicalement, d'autres facteurs entrent en scène : textes, instrumentations et jeux de scènes eux-mêmes se parent d'éléments fantastiques. On note les ju-ju et autres crânes chantants de Screaming Jay Hawkins, le « Mojo Blues » de Muddy Waters retrouvé plus tard chez les Beatles – « Come Together » sur « Abbey Road » ("He got... mojo filter") – et, plus que tout, chez Jim Morrison, encore lui, le Lizard King, avec les Doors dans « LA Woman » : "Mr. Mojo Risin'... risin' risin'" – l'expression "mr. mojo risin", véritable anagramme de Jim Morrison. Cette magie se retrouve dans le « Black Magic Woman » de Carlos Santana ou dans la vie intime de Jimi Hendrix dont l' « Electric lady », sa fée électricité, a été inspirée par les histoires légendaires liées à ses origines noires et à Nora, sa grand-mère Cherokee, forgeant petit à petit sa passion pour l'imaginaire, de Prince Valiant à Flash Gordon.

-Tex Avery mettait également les contes de fées en musique avec un Petit Chaperorn Rouge et un Cendrillon aussi sexy que musical -

Des comédies musicales aux bandes originales

Conservant ce regard où les « awopbopaloobop alopbamboom » et les « gabba gabba hey » s'apparentent aux « abracadabra », on peut lorgner du côté des comédies musicales, un genre de cinéma propre à l'évasion qui connut son essor pendant la 2nde guerre mondiale et où, là encore, se manifestent les inspirations féeriques. Il faut dire qu'un esprit cartésien a du mal à accepter l'idée de voir brusquement des personnes ou des objets se mettre à danser dans le déroulement d'une histoire, à la manière des contes de Maupassant ou de ceux de Théophile Gautier. Que ce soient le « Bal des Sirènes » (George Sidney, 1944) et ses numéros nautiques, « Camelot » (Joshua Logan, 1967), « Escale à Hollywood » (George Sidney, 1945) avec un duo détonant dans une salle du trône : « the king who couldn't dance », Gene Kelly, habillé en marin français, dansant aux côtés de la reine Jerry (la souris d'Hanna Barbera), « Fantasia » (Walt Disney, 1940), animation mélangeant musique classique et dessins d'anthologie, « La Flûte Enchantée » (Ingmar Bergman, 1974), « Le Magicien d'Oz » (Victor Fleming, 1939), « Mary Poppins » (Robert Stevenson, 1954), « Les Contes d'Hoffmann » (Michael Powell, 1951), « Parsifal » (Hans Jürgen Syberberg, 1982), « l'Etrange Noël de Mr Jack » (Danny Elfman et Tim Burton, 1993), « les parapluies de Cherbourg » (Jacques Demy, 1964) dont le metteur en scène, qui adaptera « Peau d'Ane », disait qu'il souhaitait faire un film « en chanté » comme on fait un film « en couleurs », « la petite boutique des horreurs » (Frank Oz, 1987) dont la fleur carnivore chante en rap et danse le boogie comme personne, « Tommy » (Ken Russel,1975) et le duel Elton John/ Roger Daltrey (chanteur de The Who) s'affrontant pour le titre de pinball wizard… Nombre de ces réalisateurs feront du documentaire musical ou filmeront des concerts.

- Quand la féérie musicale fait irruption sur grand écran -

Mais le chef-d'œuvre le plus marquant demeure le « Yellow submarine – nothing is real » (George Dunning ,1968) où apparaissent les Beatles, Brian Jones des Rolling Stones ou Marianne Faithfull, tiré à l'origine d'une série américaine de 39 épisodes. Paul, l'un des quatre apôtres du groupe, rejetait les prétendues allusions à la drogue, en déclarant que sa chanson n'était rien d'autre qu'une chanson pour enfants, un univers magique où tout le monde vit dans un sous-marin jaune avec une seule direction : Pepperland !

Ceci nous amène tout naturellement à évoquer les comédies musicales indiennes, l'Inde étant précurseur dans ce domaine, et adepte des grandes comédies musicales qui relatent en chansons les contes et légendes sacrés et les épopées fleuves, tels le Ramayana et le Mahabharata. Au seuil des années 1930, l'industrie cinématographique indienne se situe à Bombay, Calcutta et Madras, où règnent le «club des trois» grandes compagnies, composé de la Prabhat (spécialisée dans les films religieux et mythologiques), la Bombay Talkies (spécialisée dans les films musicaux et mythologiques) et la New Theatres (basée à Calcutta).

Là encore, la musique féerique prend un essor, les compositeurs s'attachant à écrire les bandes originales de films non musicaux mais dont les thèmes traitent du merveilleux : John Williams de « Star Wars » à « Harry Potter » en passant par les Disney dont la trompette de Louis Armstrong reprendra les thèmes musicaux, ainsi que Wojciech Kilar pour « Le Roi et l'Oiseau » de Paul Grimault, histoire de n'en citer que quelques uns parmi tant d'autres, sans même compter les nombreuses adaptations dans des formats courts ou au petit écran, qui ont explosé avec la popularisation de la télévision et des animations pour enfants (par exemple l'émission télévisée « Fraggle Rock », de Jim Henson, systématiquement accompagné de chansons). On entre alors davantage dans le domaine de l'image que du son. Ce concept ira jusqu'à, comble du marketing, décliner un univers entier sur la musique et le féerique : jouets, T-shirts, dessin animé, mugs…et prendra forme dans le clip de la grenouille chantante de « Love Is All » (« The Butterfly Ball and The Grasshopper Feast » de Ronnie James Dio et Roger Glover) qui inondera la jeunesse de millions de petits français. Pour la petite histoire il semble important de noter que le concept marketing sera un échec total et tombera à l'eau. Seuls un formidable disque et une trace audio-visuelle légendaire lui survivront dans le souvenir imaginaire enfantin d'une génération entière.

- Illustrations de « The Butterfly Ball and The Grasshopper Feast » -

« Musique modernes... populaires... »

On peut observer deux grandes tendances féeriques dans les musiques modernes. D'abord dans la musique folk et ses dérivés comme la country, inspirée de musiques traditionnelles celtes et qui n'a malheureusement pas toujours conservé le sens que ces musiques véhiculaient. Mais aussi, après le blues qui plonge ses racines dans le folk mis en chanson, vient le rock, forme la plus populaire au monde et qui depuis 50 ans a déjà effectué son travail de recomposition des grands mythes de l'histoire et constitue un puissant générateur féerique, comme l'a clamé haut et fort son héraut Jimi Hendrix et son Band of Gypsies, avec des titres comme « All Along the Watchtower » (reprise de Bob Dylan, qui fait le lien entre folklore mâtiné de visons bibliques et pur folk rock) ou « Spanish Magic Castle », le tout dans un psychédélisme flamboyant à la manière du « magical mystery tour » des Beatles.

Là encore, ce renouveau coïncide avec la redécouverte de textes plus anciens et l'élaboration de créations originales qui, à leur tour, fermentent dans le creuset du temps pour devenir les légendes de demain. Ce renouveau de la créativité musicale prend un réel essor dans les années 60, avec la vague britannique qui submerge les Etats-Unis, la très réceptive beat generation ayant préparé le terrain des nouveaux ménestrels, tandis qu'en France les yés-yés sont photographiés par Jean Marie Perier dans des costumes de chevalier (Jacques Dutronc) et de princesse (Sylvie Vartan). Comme au XVIIe siècle où les colons apportèrent leurs lutins irlandais et la culture européenne sur le fertile sol américain. Cette force narrative et créatrice, très sensible à la lecture des œuvres (à l'instar de la vague romantique du XIXe siècle), est également lisible au cours des années 70 dans la musique. Marc Bolan (« Unicorn Horn »), Pink Floyd (« Piper at the gates of Dawn », « Gnome »), David Bowie (aux multiples personnalités, acteur phare du film « Legends »), Gong (« Gnomerique » ou leur trilogie discographique « Radio Gnome Invisible » ), Marillion (« Grendel »)... multiplient les concept albums qui, bien souvent, intègrent les nouveaux genres littéraire populaires : S-F et fantasy. Le concept album, c'est ce livre musical dans lequel les morceaux s'enchaînent pour raconter une longue histoire à la manière des contes, sagas et chansons de geste du passé, souvent avec de larges audiences, et représenté, qui plus est, dans des lieux mythiques aux noms évocateurs (citons parmi les plus célèbres l'Olympia, l'Avalon ou le Zénith), ce qui réunit les mêmes facteurs qui permirent à Carl Ditters en 1780 de restituer les contes au plus grand nombre : capacité des salles et moyens techniques améliorant la durée d'écoute.

- Le revival féerique : les gnomes de Gong, le magicien de Black Sabbath, la fantasy d'Uriah Heep , le Livre de Taliesyn de Deep Purple, The Sword and the Beast de Jethro Tull et la cour du Roi Sanglant de King Crimson -

Les plages musicales s'allongent et il n'est pas rare qu'elles durent quelque 20 minutes, soit la face d'un disque vinyle de l'époque. De plus, si ces groupes entretiennent plus ou moins d'affinités avec la S-F, on observe une introduction dans le rock du classique et du médiéval (Deep Purple, Ronnie James Dio and the Electric Elves, Nico du Velvet Underground), puis de la fantasy (« The Battle of Evermore » de Led Zeppelin, « Gargantua » de Gentle Giant, « Return to Fantasy » d'Uriah Heep, « Le Matin des Magiciens » de Martin Circus…), mais toujours avec une lecture qui leur est propre, allant jusqu'à nourrir le vocabulaire d'expressions d'inspiration féerique, au point de se retrouver dans les autres genres musicaux, du funk de George Clinton (« the Cinderella Theory ») aux délires costumés du Funkadelic Parliament, du rap marseillais d'IAM (« le Dragon Sommeille » de l'album « Ombre et Lumière »), au blues rock de Ten Years After (avec le morceau instrumental « The Hobbit »). Certains thèmes de prédilection sont traités, comme la Lorelei d'Ella Fitzgerald, des Cocteau Twin, de George Gershwin, d'Hubert Félix Thiefaine, d'Eagle Eye Cherry, des Pogues, de Cab Calloway pour n'en citer que quelques-uns.

- Les têtes couronnées de la musique féerique : Ronnie James Dio et les Electric Elves, The King, George Harrisson entouré de nains de jardin, la grenouille chantante de Roger Glover, et les puissants dieux illustrant un disque de Ravi Shankar -

Certains groupes vont même jusqu'à revendiquer l'héritage de peuples anciens, s'éloignant du folk pour s'imprégner de world music participant de la mouvance du néo-paganisme (« The Serpent's Egg » de Dead Can Dance, le retour des Bardes Alan Stivell ou Dan Ar Braz…) dans laquelle on trouve le groupe de heavy metal Black Sabbath en train de dresser Stonehenge sur scène à défaut de jouer sur place, événement repris dans le film culte et parodique de Rob Reiner « This Is Spinal Tap » qui reprend avec humour des aspects qui font la légende du rock moderne. Un autre grand thème traité est celui de conte de fées même, bien souvent utilisé comme dans le langage courant pour désigner une jolie histoire d'amour, même si quelquefois elle fait appel à de réelles légendes, comme la lampe merveilleuse d'Aladin du « Fairy Tale » de Sinatra, le « gangsta fairy tale » d'Ice Cube ou Il était une fois, célèbre groupe pop français au tragique destin.

Par ailleurs, ce réveil féerique se traduit par une multiplication des références au-delà des textes musicaux : les badges « Gandalf for President » à Woodstock, le mot fairy (« tapette » en argot) qui apparaît dans le vocabulaire anglais (« Fairies wear Boots » de Black Sabbath pour se moquer des skinheads), les Pixies qui choisissent leur nom en tirant un mot au hasard dans le dictionnaire, Siouxsie qui fait chanter ses Banshees, et on ne compte plus les allusions aux têtes couronnées (King Crimson, Run DMC et son titre « King of Rock », Prince, Michael Jackson le King Of Pop - chanteur qui joue avec Diana Ross dans « Wiz », un remake du « Magicien d'Oz », Elvis the King vivant dans le delta du blues, à Memphis – nom d'une nymphe grecque, etc.).

- De la version originale à la plus récente, le temps passe, la féerie reste -

On trouve même des dragons dans les groupes de heavy metal (Manowar, « Dragon Rouge Dragon Blanc » sur l'album « Merlin » d'Halloween), en passant par une version des « trois petits cochons » de Green Jelly et par les trolls des groupes de black metal, par lesquels ils clament leur haine du christianisme sous le couvert d'un renouveau nordique. Le conte féerique se cache derrière les tatouages, les look de tel ou tel artiste, et même dans les hallucinations dues à certaines drogues faisant passer Alice au Pays des Merveilles et ses potions ou champignons magiques pour une néophyte. Le plus bas de gamme de la musique pop va même dans le cliché, avec des Spice Girls aux allures de petites fées ailées ou les journalistes de la presse musicale désignant l'artiste Björk, l'auteur de « Pagan Poetry », sous le pseudonyme de « lutin islandais », pour ne citer que deux exemples marquants. L'imagerie qui se développe grâce à la médiatisation de la musique inclut forcément cette culture par l'entremise de clips (« Frozen » de Madonna au look de sorcière crébine entourée de menaçants chiens noirs ), de pochettes de disques (« One hot minute » des Red Hot Chili Peppers accompagnés d'une sorte de fée Clochette jouant du banjo), de logos (comme la manticore d'Emerson Lake and Palmer ou les créatures fabuleuses de Queen) et même des êtres étranges ni bons ni mauvais, ni anges ni démons, mais ô combien mythiques par la force d'évocation de l'icônographie rock, comme l'horrible Eddie d'Iron Maiden ou les dégoûtantes créatures de Gwar qui, finalement, ne sont que des échos « adulescents » de nos fascinantes terreurs enfantines.

Thomas Lampert




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