Observatoire économique du jeu de rôle

Le JdR est un marché difficile à cerner. Confidentiel, dépourvu d’instance de supervision (ce qui, en contrepartie, lui garantit une certaine autonomie…), il dispose de peu d’éléments pour mesurer sa santé et ses perspectives sur le plan économique.
Certains s’en contenteront, constatant que le JdR, en tant que loisir créatif, gagne à échapper à la pression du marché et à son uniformisation. D’autres, par curiosité ou par conviction que la légitimité d’une activité passe, hélas, souvent par son succès économique, voudront malgré tout disposer d’informations.
Pour éclairer le débat, voici l’éclairage, sans doute très partiel, qu’Imaginez.net est en mesure d’apporter. Tous vos compléments d’information et de réflexion sont les bienvenus sur imaginez.net@free.fr.

Quelques lieux de discussion sur le net :

Et n’oubliez pas : 19 questions à se poser avant de créer un jeu

Le marché de jeu de rôle

Quelques faits chiffrés permettant de mesurer le poids économique du JdR, son évolution et quelques tendances sectorielles. Les sources disponibles sont en général américaines et assez centrées sur le marché domestique, ce qui occulte non seulement le marché francophone (2ème par l’importance) mais aussi la situation internationale (Europe de l’est, Japon, Brésil…). En France, le magazine Jeux Pro contient des informations à destination des professionnels du jeu, notamment de rôle. Les statistiques sont faites en partenariat avec le GRoG, et plutôt instructives.

Rapport sur le marché du jeu en 2003

Revue et analyse du marché du jeu (de rôle mais aussi des jeux de cartes et de plateau) aux Etats-Unis jusqu'en 2003, avec chiffres et parts de marché. Lire l'article...

Jeux les plus vendus aux EU au premier semestre 2003

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TOP10 des jeux les plus vendus aux EU au premier semestre 2005

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Des modèles économiques pour le jeu de rôle

Les premiers JdR, au milieu des années 70, n’avaient guère plus d’ambition que d’être des wargames intelligents. De ce fait, ils ont mécaniquement calqué leur format et leur diffusion sur ceux des wargames de l’époque : livrets en boîte, distribution en boutiques spécialisées et par correspondance. De plus, le circuit était soumis aux réalités de la distribution sur le territoire américain (faible densité de population rurale, concentration urbaine…). De ce fait, le modèle traditionnel consiste à imprimer des livres de grand format et à les vendre en boutique spécialisée, comme dans l’édition traditionnelle. Mais ce modèle atteint rapidement de sévères limites.

Pas assez identifié et compris par le grand public, le JdR atteint en pratique une population restreinte d’avertis, ce qui limite cruellement les tirages, et donc la rentabilité qui, dans un modèle d’édition, provient d’un effet de masse. Les coûts logistiques restreignent donc le JdR à une distribution ciblée (raison pour laquelle un acteur historique comme Jeux Descartes cumulait le rôle d’éditeur et de réseau de boutiques), ce qui l’enferme dans un circuit confidentiel et nuit à sa visibilité vis-à-vis du grand public… le cercle est vicieux.

Des tentatives sporadiques de distribution en librairie traditionnelle (Avant Charlemagne, Empire galactique, l’Oeil noir…) ou en kiosque (Méga), parfois en tirant parti des aspects littéraires du loisir (la collection Migou), après un joli succès, se sont en général heurtées à un problème de positionnement : perçus par les « rôlistes » comme des jeux « au rabais » réservés à des débutants, souvent dotés d’un suivi limité par des éditeurs qui n’y voyaient qu’un produit d’appel pour des gammes plus spécialisées, ayant peu pris en compte les barrières à l’accessibilité pour le grand public (référentiel culturel des univers, systèmes peu intuitifs, durée des parties…), ils ont tous fini par disparaître. De telles approches grand public étaient à la limite de rentabilité pendant l’âge d’or du marché du JdR, vers la fin des années 80. Avec les faibles volumes de vente actuels, elles sont aujourd’hui impensables.

En outre, selon la distinction effectuée dans notre définition entre produit et activité, le JdR est structurellement mal adapté à ce modèle d’achat sur étagère. Un jeu acheté par une personne en fait jouer en moyenne 5 ou 6 qui ne l’achèteront que par affection pour le produit ou par goût de la collection. Et, si le jeu est assez intuitif, ces personnes pourront à leur tour faire jouer sans jamais rien acheter. Comme les seules choses qui « s’usent » en JdR sont les scénarios, la plupart des consommateurs du JdR ne sont pas des clients… A titre de référence, on compte qu’un supplément se vendra en moyenne à un nombre d’exemplaires moitié de celui du livre de base.

Pour pallier ce défaut fondamental, quelques techniques ont été mises en œuvre. La première consiste à capitaliser sur une iconographie en espérant faire acheter le produit par des non-joueurs qui se jettent par principe sur tout ce qui comporte, selon les cas, un dragon, une guerrière dénudée ou un vampire, ou encore une œuvre de tel illustrateur fétiche ou de tel style « tendance » (manga…). C’est terriblement efficace (cf. le démarrage foudroyantde Dungeons & Dragons ou de la gamme World of Darkness) sur le plan commercial, moins sur le plan ludique puisque les clients jouent peu voire pas, et contribue à donner du JdR une image de passade adolescente dont la plupart des adeptes se détournent avec dédain en prenant de l’âge. Le public est donc infidèle et pratique un prosélytisme à l’envers (sans compter l’effet de repoussoir sur des populations moins férues de tribalisme).

Une autre consiste à multiplier les suppléments, certains comme Chaosium comptant sur la qualité et l’originalité, d’autres comme White Wolf sur les compléments qui ajoutent des niveaux de profondeur aux intrigues ou de possibilités pour les personnages (à la façon d’un add-on informatique), d’autres enfin sur des éléments gardés secrets même vis-à-vis du meneur et révélés au fil d’une gamme à rallonge (avec d’inévitables changements d’équipe éditoriale sur la durée, ce qui conduit à des incohérences). Toutes les années 90 ont fonctionné ainsi.

Mais outre que c’est astreignant à tenir sur le long terme et constitue malgré tout un pari risqué en cas de désaffection du public, les joueurs ne sont pas dupe du procédé de création de dépendance et ne l’acceptent que temporairement, et uniquement si la qualité se maintient. Effet pervers : la segmentation des informations réserve l’achat de certains suppléments au seul meneur, restreignant le marché potentiel. Cette position marketing crée un marché captif, mais aussi fermé à un public non-initié. Sans parler de la limitation de l’espace de stockage chez les joueurs…

Enfin, acquérir un JdR ne suffit pas à garantir une expérience rôlistique. En effet c’est un jeu par nature collectif (donc il faut des joueurs réguliers avec qui on s’entend) et qui nécessite un fort investissement pour l’assimilation des univers et des systèmes et, pour le meneur, la préparation des scénarios, et une forte disponibilité simultanée pour jouer des parties longues, fréquentes et difficiles à interrompre. Une insuffisante affirmation des caractéristiques propres du JdR par rapport à d’autres formes de loisir émergeantes qui traitent des thématiques proches (jeux vidéo, jeux de cartes…) mais garantissent une gratification plus rapide, parfois plus complète, en tous cas à moindre investissement personnel et à investissement temporel plus modulable, conduit donc à une érosion de la base de clientèle vers ces formes plus accessibles et plus reconnues.

Le modèle traditionnel peine donc à garantir la prospérité des éditeurs et distributeurs de JdR, et donc la juste rémunération des auteurs et illustrateurs qui n’hésitent pas à aller chercher ailleurs de quoi vivre, ce qui assèche la production et n’alimente plus les joueurs. Quelques pistes se dessinent pourtant : dématérialisation pour gommer les coûts logistiques, ubiquité pour toucher la totalité des clients potentiels, réflexion sur l’accessibilité à la pratique pour le public pour ne repousser personne, rétribution de l’activité et non du support, fidélisation par une dépendance au support, facilité à mobiliser des joueurs pour exploiter le produit, affirmation des spécificités du JdR pour toucher un public plus fidèle. Par bonheur, les technologies modernes de diffusion de contenu intellectuel offrent à ces pistes des possibilités nouvelles de se concrétiser.

Voici quelques expériences réelles.

Edition associative

Cette idée part du constat que l’édition de JdR n’est pas rentable et propose donc un modèle ouvertement non lucratif. Il permet donc de se passer des considérations d’impact marketing et de publier des produits innovants qui ne rassureraient pas un éditeur classique : c’est souvent là que des jeux ayant commencé leur carrière en diffusion électronique gratuite connaissent une nouvelle vie. Mais le principe et les limites subsistent.

Souscription

Inspiré d’un mode bien connu de financement alternatif de la création littéraire, il consiste à appeler des fonds de la part de futurs clients qui s’engagent à acheter le produit, puis à le publier en n’investissant pas plus (en qualité de réalisation, en nombre d’exemplaires…) que ne le permettent les fonds récoltés. C’est une façon de maîtriser son risque et de forger un lien fort avec son public, mais c’est aussi par nature un choix de diffusion restreinte qui ne garantit pas la pérennité des gammes, les suppléments se vendant traditionnellement moins que le jeu de base.

Traditionnellement, ce modèle prévoit des avantages proportionnels à la contribution versée : doit d’ingérence dans la conception ou accès à des informations exclusives (comme dans la Gloranthan Trading Association qui finançait Hero Wars/ HeroQuest)

Fusion de média

Il s’agit de pénétrer le marché des gens qui sont déjà joueurs mais ne le savent pas encore en insinuant du JdR comme prolongement naturel de livres classiques traitant de leurs thèmes de prédilection. C’est une façon de révéler de nouveaux marchés mais nécessite impérativement des produits d’une accessibilité sans faille et une distribution capable de toucher effectivement en majorité les non-joueurs, avec un suivi massif (puisque le public visé sera peu autonome pour créer lui-même), ce qui constitue un pari ambitieux. Le manque des ces 3 caractéristiques a sonné le glas de Dartkam.

Des tentatives connexes ont été observées dans la presse non spécialisée, comme la publication par D. Guiserix d’Etoiles lointaines (dérivé de REVES de la FFJdR) dans le généraliste Phosphore. Là encore, le suivi a toujours fait défaut : on a donc initié le public à une approche sans lui donner les moyens de la mettre en pratique de façon autonome et pérenne. Dans un cas comme REVES, c’est toutefois une vitrine pour une gamme plus vaste, donc assimilable à un produit d’appel. C’est ainsi qu’Imaginez.net publie dans des eZines non ludiques des jeux orientés accessibilité et dérivés de nos gammes, pour donner de la visibilité au JdR en général et à nos jeux en particulier. Une piste encore à creuser serait de généraliser cette démarche à d’autres média que le papier (audiovisuel ou déclinaisons électroniques).

Jeux presque de rôle

Régulièrement apparaissent des jeux très originaux qui, quoique reprenant le cadre des jeux de société classiques (temps limité, conditions aboutissant à désigner un gagnant et des perdants…) incluent des éléments clairement rôlistiques d’improvisation narrative, d’arbitrage tournant, etc. On peut citer Baron Munchausen, les Loups-garous de Thiercelieux ou Il était une fois, à titre d’exemple. Ces jeux permettent, en partant de l’habitude qu’a le public des jeux compétitifs traditionnels, de l’acculturer progressivement à une approche plus collaborative. Il ne s’agit toutefois que de produits d’appel, qui généralement ne mentionnent même pas le JdR comme prolongement naturel. Un outil de sensibilisation générale pour des gens que l’on veut amener au JdR, donc, mais pas encore une accroche infaillible pour qu’ils effectuent seuls la transition.

On pourra saluer à cet égard l’approche de Neko Corp, label de 7ème Cercle, qui publie des jeux indépendants d’autres contenus, mais qui les adaptent officiellement, en visant un public très jeune (donc avec une forte exigence d’accessibilité) et en évitant soigneusement d’employer le terme JdR (qui de toute façon décrit fort mal le loisir) : une façon d’habituer peu à peu le public à l’approche rôlistique.

Dans le même esprit, cet éditeur et d’autres brassent des projets de jeux de société, tirant éventuellement un lourd parti d’un packaging « tendance » (cartes…), et recelant des éléments rôlistiques. Là encore, la capacité à transformer l’essai en élargissant durablement la base de clientèle sanctionnera le succès ou l’échec de la démarche. Notons toutefois qu’à la différence du JdR classique où tout se passe dans la tête (les figurines et plans de sol ayant plutôt tendance à distraire de la visualisation des situations), on rend à nouveau le jeu dépendant de supports matériels difficiles à reproduire (pions, plateaux, cartes…), ce qui permet d’obliger les joueurs à acheter pour jouer. On peut même éventuellement enrichir via des extensions (toutefois optionnelles). On perd la facilité de mise en œuvre du JdR, mais on assure un revenu aux professionnels.

Notons que dans Violence, son indispensable réflexion sur le JdR assortie d’un jeu jouable, le très grand auteur Greg Costykian proposait par l’absurde que l’expérience des personnages se fasse vie des compteurs infalsifiables achetés à l’éditeur : la progression au prorata des moyens financiers, comme dans certains jeux à collectionner…

Jeu « en ligne sur table »

Il s’agit tout simplement de jouer à des JdR sur table, mais sans réunion physique avec les autres joueurs, ce qui résout la difficulté d’entrée en contact et permet de tester des jeux en conditions réelles plutôt que de les acheter « en aveugle ». Héritier du jeu par correspondance, il se décline par tous moyens électroniques : eMail, forum, chat… avec une réactivité qui dépend du support (le chat étant le plus réactif) et de toute façon une moindre convivialité qu’une partie réelle. Mais tout le monde n’a pas un club près de chez lui (expatriés, notamment).

De nouveaux logiciels, propres aux JdR, utilisent les possibilités de réunions virtuelles d'internet et associent des systèmes de chat en groupe (textuels ou vocaux) avec la mise en commun de documents : cartes et plans avec visualisation des personnages, jets de dés virtuels...

Une forme sous-représentée, sans doute pour des raisons de coût, est la télé- ou visio-conférence, qui restituerait au plus près une partie réelle : une nouvelle opportunité pour Skype.

Dématérialisation

C’est l’apport principal d’Internet à tous les média semi-professionnels. Affranchi de la contrainte matérielle et du coût financier de l’impression, de la reliure, du stockage, de la distribution, de la reprise des invendus, etc., n’importe qui peut publier n’importe quoi partout dans le monde et gratuitement. Vous aurez noté que c’est le choix que nous avons fait. Il y a toutefois des limites.

En effet, l’absence de barrière à l’entrée (pas de capital à investir, pas de contrôle éditorial…) a amené à voir fleurir des jeux médiocres, souvent « améliorations » personnelles de standards du marché, ce qui a jeté une ombre sur le circuit « amateur ». La capilotade des éditeurs professionnels au début des années 2000 a toutefois conduit à une vague de produits à la fois très originaux et extrêmement aboutis, soutenant sans problème la comparaison avec les produits disponibles en boutique mais avec une approche souvent innovante, et généralement gratuits. La CJdRA en a été le fer de lance pendant 7 ans.

Mais le gratuit est souvent mal perçu : si ça ne coûte rien, ça ne vaut rien. Le fait que de très nombreux jeux originellement diffusés gratuitement aient connus une carrière professionnelle payante, éclipsant même par leur nombre les produits conçus par les éditeurs (Secretum templi, Fables ludiques, Contes ensorcelés dérivé de P’tites sorcières, Pavillon noir, Te Deum pour un massacre, Mousquetaires de l’ombre, Brain Soda, Palimpseste, Patient 13…) démontre assez la fausseté de ce postulat.

Reste qu’un produit dématérialisé coûte au client à imprimer et relier (sauf à s’abîmer les yeux à lire sur écran) et présente au final un aspect nécessairement moins esthétique (tas de feuilles…) ; il est donc souvent perçu comme « inférieur » à un produit papier : s’il est si bien, pourquoi ne le publient-ils pas « vraiment » ? Et puis tout le monde n’a pas Internet, ce qui restreint le public cible, tant qu’on ne dispose que de ce mode de diffusion. En contrepartie, le support électronique permet des mises à jour instantanées et donnant lieu à une alerte immédiate du client, des fonctions d’indexation des contenus qui facilitent la recherche d’information en cours de lecture ou de partie, un stockage aisé (clé USB, CD ROM…), etc.

Au point que certains, convaincus de la validité du support électronique comme complément du support papier, diffusent des jeux dématérialisés payants (le JdR « indie » pour « indépendant » par opposition à « l’amateur », gratuit), au format pdf. C’est toujours gratuit pour eux, mais leur travail à une valeur, et le produit a un prix, toutefois souvent moindre que l’équivalent sur support papier : tout le monde y gagne ! C’est un mode de diffusion particulièrement approprié pour des jeux de niche, avec un public ciblé. A ce sujet, cet intéressant article dans lequel l'auteur analyse les possibilités offertes par la diffusion de jeux de rôle au format électronique et la viabilité de ce modèle à terme. Lire l'article...

La frénésie de publication papier, entre 2003 et 2005, de jeux anciennement dématérialisés, à la fois par des éditeurs ayant senti le filon (voilà des jeux qui ont déjà un public fidèle et une notoriété favorable, et qui ne nécessitent aucun délai de développement) et par des auteurs eux-mêmes victimes de l’illusion « qu’il faut du papier pour être enfin reconnu » a laissé une arrière-goût aigre-doux à certains, les exigences éditoriales de certains s’accommodant mal du caractère expérimental de certains jeux, tandis que d’autres effectuaient une sélection et une maturation insuffisante des produits, comme si le changement de support n’était qu’une transposition sans conséquence (alors qu’il faut bien inciter les anciens joueurs utilisant la version gratuite à se mettre à la version payante en enrichissant le jeu). En pratique, le JdR électronique se vend plutôt moins bien que le JdR papier : la dématérialisation est un complément, pas une solution. Certains y voient la relève, en matière de créativité, d’une édition traditionnelle qui bat de l’aile ; d’autres s’inquiètent d’une suroffre, de surcroît constituée d’œuvres très personnelles donc à public restreint, ce qui contribue à atomiser le marché et, effet pervers, à décourager les auteurs au vu du faible impact de leurs jeux une fois publiés. Le public reste, en effet, peu à même de se repérer dans le foisonnement des produits et se rassure en achetant des marques reconnues plutôt que des innovations éventuellement décevantes, surtout dès lors qu’elles ne sont plus gratuites.

Certains jeux, les plus aboutis, n’en continuent pas moins une carrière très honorable, et le mouvement se poursuit encore. Le fait de travailler d’arrache-pied gratuitement ou pour la rémunération symbolique du pdf payant est toutefois un sport de jeune qui use vite, et les vétérans se dispersent.

Le corollaire de la réalisation directement au format électronique est la numérisation d’anciens formats papier : la plupart des éditeurs ont entrepris la numérisation de leurs vieux suppléments épuisés pour leur donner une nouvelle vie électronique, à coût bien moindre que s’il fallait les réimprimer. On trouve hélas aussi beaucoup de scans pirates sur des sites de partage de fichiers. Dans le même ordre d’idées, Jeux d'Ombres, l'eZine officiel du Webring des JdR indépendants, a le projet de publier en tirage limité un CD-ROM comportant un large échantillon de la création actuelle en la matière, pour peu que les jeux, leur iconographie, leur système et leur univers soient libres de tout droit. La FFJdR a un projet similaire de son côté.

Une option hybride entre le matériel et l'immatériel est l'impression à la demande : le distributeur laisse le choix entre acheter un fichier .pdf ou sa version papier, qu'il imprime et expédie pour vous, à vos frais. C'est ainsi que fonctionne notre partenaire Malcontent Games.

Financement par rançon

La rançon est un modèle de commercialisation de jeux au format électronique dans lequel l'auteur déclare être prêt à éditer un jeu s'il reçoit une certaine somme de la part de contributeurs. Le jeu est décrit brièvement de façon à attirer des clients qui donnent la somme qu'ils souhaitent. Si le montant est atteint avant une date limite, le jeu est « libéré »: il est publié sous un format électronique gratuit. Ce modèle est apparenté à celui de la souscription (où l'on achète un jeu avant qu'il soit publié pour fournir l'investissement nécessaire à son édition), à la différence près qu'ici, le jeu est gratuit une fois la somme atteinte : seuls les premiers contributeurs paient.
C’est un système qui semble fonctionner aux Etats-Unis, mais dont la logique « laissons les autres payer et allons nous servir » semble choquer en France. Ce système a été utilisé pour la première fois par Greg Stolze pour son jeu Meatbot Massacre (qui n’est pas un JdR). Aller sur le site de l'éditeur...

Podcasting

Autre nouvelle technologie, celle-ci consiste à alimenter un terminal (plutôt mobile : téléphone, baladeur… mais pas seulement) en émissions audio ou vidéo, en temps réel ou stockées, sous forme de flux auxquels l’utilisateur s’abonne par choix (c’est lui qui choisit ses contenus).
Dans le domaine rôlistique, ces abonnements sont aujourd’hui gratuits ou payants et concernent de l’actualité, des conseils de pratique ou de conception de jeux, des billets d’humeur, des critiques de produits, des interviews d’auteurs, voire des enregistrements de parties.

Wiki payant

Equat10n est un jeu de rôle qui se déroule dans un univers futuriste de science-fiction. Contrairement aux jeux classiques, il ne se présente pas sous la forme d'un texte de base, accompagné de suppléments (scénarios, règles et éléments additionnels...), mais d'un wiki, un site modifiable par ses connectés, d'accès payant. Une fois la cotisation réglée, le joueur a non seulement accès aux règles et à la description de l'univers de jeu, mais il peut aussi rédiger sur le wiki ses propres additions au jeu, et bénéficier des additions des autres joueurs. Il est possible de partager ses expériences au travers d'un forum, de jouer par forum interposé ou encore d'accéder à des aides de jeux en ligne (générateur de personnages, gestionnaire de campagne...). Les auteurs du jeu sont là pour faire vivre le wiki et lui assurer du dynamisme. L’accès est à durée limitée, on peut alors jouer avec ce que l’on a téléchargé ou écrit soi-même jusque là, ou renouveler son abonnement pour rester au fait des dernières évolutions… et surtout continuer à enrichir et orienter la gamme. Malheureusementl e site Equat10n n'est aujourd'hui plus actif...

Si c’est une façon habile d’inscrire fermement dans le jeu une des beautés du JdR qui est l’abolition de la frontière auteur/ consommateur, la plus-value par rapport à la diffusion électronique classique n’est que celle de la participation à la création partagée qui n’intéressera pas tous les publics. C’est peut-être l’entrée du JdR dans le web 2.0 : beaucoup d’auteurs, y compris professionnels, publient les étapes de l’écriture de leur jeu sur des listes Yahoo ou des blogs et modifient le jeu au gré des commentaires recueillis. Le modèle du wiki va toutefois plus loin puisqu’il persiste au-delà de la phase de conception du jeu en en autorisant la réécriture perpétuelle. Toutefois, ce mode de distribution reste minoritaire et ne peut survivre que grâce à de vraies communautés de joueurs impliquées dans le développement du jeu et non simples consommateurs passifs. On peut espérer que l'échec d'Equat10n n'est pas la preuve que ce modèle est une impasse définitive, mais qu’avec l'implication croissante du grand public dans le "Web 2.0", il trouvera sa masse critique.

Tourisme et JdR

Otherworld Excursions est une agence de voyage qui propose des excursions originales. Ce sont des voyages culturels dans divers lieux des Etats-Unis avec un guide averti et qui plus est... meneur de jeu ! En effet, en plus des sorties, les soirées sont occupées par des parties de jeu de rôle dont l'environnement est celui qui est visité par les joueurs. Cela permet à la fois de personnaliser les visites réelles et de donner plus de corps aux parties. Qui plus est, les meneurs de jeu ne sont autres que John Tynes ou Ken Hite, des grands noms du monde du jeu de rôle. Aller sur le site de l'agence...
On est ici en train de faire déborder le JdR du strict cadre du divertissement entre amis pour en faire le complément naturel d’autres loisirs. A quand la partie de JdR consécutive au ciné-club ou la représentation théâtrale ? C’est dans cet esprit que nous avons noué un partenariat avec la Bibliothèque nationale de France pour décliner ses expositions et leurs prolongements multimédia en jeux proposés à leurs visiteurs, là encore dérivés de nos gammes.

Jeu de rôle : produit ou... service ?

La question est simple : comment rétribuer l’activité plutôt que le support ? Le modèle reste à construire, mais voici quelques pistes.

Les difficultés du marché de la musique et du cinéma face au téléchargement ont fait apparaître des propositions intéressantes de modèle alternatif. Ainsi, avant l’invention de l’enregistrement des performances musicales ou théâtrales, c’était le concert, le spectacle qui était rétribué (ce qui continue d’ailleurs). En outre, le mécénat permettait aux auteurs de percevoir des revenus au cours du processus, parfois long et hasardeux, d’élaboration de leur œuvre. C’est plus rare de nos jours mais rejoint la notion d’avance versés à un écrivain par son éditeur ou de subvention publique. 2 modèles se dessinent alors, mais qui nécessitent tous deux un virage à 180° de la perception du JdR, y compris par les rôlistes.

Le premier consiste à faire reconnaître les bienfaits socioculturels du JdR par les pouvoirs publics et obtenir que certaines activités d’écriture (a minima de scénarios) et d’animation de parties soient subventionnées, tout comme le théâtre ou le cinéma d’auteur. C’est ni plus ni moins le modèle bien connu des clubs, souvent aidés par une collectivité ou un établissement public, ne serait-ce que sur le plan des locaux, mais à un autre degré. Les clubs ne seraient plus seulement un lieu de rencontre et, parfois, de tribalisation pour joueurs esseulés, mais le lieu où il est bien venu d’envoyer ses enfants comme on les envoie faire du judo ou du solfège, et où l’on peut aller soi-même comme au club de sports. Ca nécessite donc des jeux à l’accessibilité parfaite et au suivi pléthorique, une qualité des meneurs qui justifie qu’on les rétribue et une offensive massive pour rendre le JdR à la mode, ce qui, comme le judo, nécessiterait sans doute la starisation de personnalités rôlistes exemplaires.

Vu le nombre de « people » qui sont ou ont été rôlistes, et vu aussi l’attrait manifesté par les 30-40 ans pour des jeux de société conviviaux, originaux et faciles à mettre en œuvre, - cf. la peoplisation du Poker – il y a sans doute quelque chose à faire.

Le second en est le prolongement dans le secteur privé : organiser pour des clients entreprise (CE, événement managérial annuel, séminaire, team-building…), collectivités ou particuliers des parties de JdR dont la qualité et l’accessibilité sont garanties. Là encore, pas très différent de ce que proposent un certain nombre d’acteurs de l’événementiel, mais avec la dimension proprement ludique du JdR qui fait actuellement cruellement défaut même aux offres qu’il qualifient ainsi. Ainsi trouve-t-on aujourd’hui des troupes de théâtre qui jouent à domicile, apportant une dimension originale à une soirée entre amis. Ne peut-on imaginer des meneurs de jeu payés pour égayer les soirées de particuliers ? Avant d’en arriver là, il faudra que le JdR gagne en popularité et professionnalisme.

Là encore, avec la transposition au JdR de modèles issus des arts performatifs, la condition sine qua non de mise en œuvre en est la reconnaissance des qualités individuelles de certains auteurs (c’est déjà fait) et meneurs (cela reste à faire), capables de garantir par leur seule réputation rôliste la qualité de l’expérience ludique qu’ils promettent.

 



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