9 Mars 2008 à 16:46
(rendu public à la demande de Jediwiker)
En écoutant les gens parler de la quatrième édition à venir de D&D, j'ai souvent entendu la même chose : équilibrer les classes.
J'ai
entendu dire que le combattant allait faire le plus de dommages au
contact alors que le voleur (je ne dirai pas le « filou »)
ferait le plus de dommages par derrière tandis que le magicien
ferait le plus de dommages à distance et bla et bla et
bla...
Je me suis consolé à la pensée que la
nouvelle équipe de concepteurs de D&D jouait enfin franc
jeu. D&D n'est pas un jeu de rôle; c'est un jeu de plateau
très sophistiqué. C'est un peu un paradoxe dans la
mesure où D&D est le premier « jeu de rôle ».
Et pourtant il n'en est pas un. C'est comme si vous étiez
votre propre grand-père : cela réclame quelques
explications.
J'ai beaucoup réfléchi à la question: « Qu'est-ce qu'un jeu de rôle ? » En y pensant de la même façon que Scott Mc Cloud dans son brillantissime roman graphique Understanding Comics où il réfléchit à « Qu'est-ce qu'une BD? »? J'y ai beaucoup pensé parce que quelque chose dans le nouveau D&D m'interpellait, quelque part.
Il est important de noter que tout jeu peut être transformé en un jeu de rôle. Vous pouvez changer les échecs en jeu de rôle si vous donnez un nom à votre roi et que vous le faites parler. Vous pouvez changer Life [NdT : le jeu de John Conway] en un jeu de rôle de la même façon. En réalité, vous pouvez transformer n'importe quel jeu de plateau en un jeu de rôle ainsi. Mais vous devez lui ajouter quelque chose. Vous devez y ajouter un personnage et ses motivations.
J'arguerai également qu'il faut lui ajouter un autre élément. Le « personnage » doit faire des choix basé sur ses propres motivations plutôt que sur un avantage stratégique ou tactique. C'est le côté: « Mon personnage ferait ainsi ». Le mouvement correct aux échecs peut être que le pion de la reine prend le pion en 4, mais si le roi décide que « je préfère protéger ma reine plutôt que mon fou, même si le mouvement le plus intelligent est de protéger mon fou », alors nous avons un jeu de rôle.
Ça ne signifie pas que vous jouez de façon idiote. Vous pourriez faire tous les déplacements intelligents que vous voulez. Mais si vous considérez de façon active que les désirs et les motivations du personnage passent avant, alors je pense que vous avez compris ce dont nous parlons ici.
Mais un jeu comme les échecs ne vous récompense pas pour avoir fait des choix qui ne vous conduisent pas directement ou indirectement à la victoire. En fait, aucun jeu de plateau ne le fait. C'est, je pense, ce qui différencie un jeu de plateau d'un jeu de rôle. Un jeu de plateau récompense les joueurs pour avoir fait des choix qui conduisent à la victoire. Un jeu de rôle récompense le joueur pour avoir fait des choix qui sont cohérent avec son personnage.
De la même façon, la plupart des jeux de plateau n'ont pas le sens de la narration, c'est-à-dire de la construction d'une histoire. Maintenant, notez que j'ai dit « la plupart ». Certains jeux de plateau le font sans aucun doute. Et je ne parle pas d'un « histoire » au sens abstrait qui serait sujet à interprétation. Je veux dire une vraie histoire complète, avec tout ce que nous attendons d'une histoire. Une intrigue, une narration, un exposé, la trahison du troisième acte. Et tout le tintouin.
Certains jeu de plateau ont effectivement un sens de la narration, mais ne récompensent pas les joueurs pour la faire avancer. A l'opposé, c'est justement le fondement du jeu de rôle : faire avancer la narration. Il a des mécanismes qui aident spécifiquement les joueurs à le faire.
En
conséquent :
« Un jeu de rôle est un jeu dans lequel les joueurs
sont récompensés pour avoir fait des choix cohérents
avec les motivations de leur personnage ou qui favorisent l'intrigue. »
(A
ce stade, je prédis que de fidèles lecteurs
souligneront que ce n'est pas la définition que la plupart des
gens associent au jeu de rôle. J'anticiperai ce reproche en
leur demandant pourquoi la plupart des américains ne savent
pas utiliser « I could(n't) care less » [NdT:
« I couldn't care less » signifie littéralement
« je ne pourrais pas m'en soucier moins », mais
la plupart des gens emploient en contre sens total « I
could care less ».], comprennent mal le principe
d'évolution et prononcent incorrectement le mot « nuclear »
[NdT: « nioucoular » au lieu de « nioucliar »],
et parmi eux le type assis à la Maison blanche qui se vautre
sur les trois à la fois.
Ceci est une définition de travail. C'est loin d'être complet et je n'en suis pas entièrement satisfait, mais c'est un bon point de départ. Notez qu'il n'est pas nécessaire d'avoir des figurines ou des dés pour jouer au jeu de rôle. Certains utilisent des figurines, certains des dés, mais pas tous. La question importante est si on peut ou non jouer au jeu de rôle sans utiliser des dés ou de figurines. Ma réponse est oui et c'est ce que je fais depuis au moins vingt ans.
(C'est à ce moment que je me suis rappelé qu'un certain individu, qui eut un rôle très important dans l'origine du jeu de rôle, m'avait dit - en face – que je ne jouais pas au jeu de rôle du tout, mais que j'étais juste un « acteur de théâtre amateur contrarié ». Mais il ne faut pas dire de mal des morts.)
Les dés, les cartes et les figurines ne sont pas nécessaires pour jouer au jeu de rôle. (Oui, Matt, j'utilise ce mot dans ce sens là). Certains joueurs préfèrent les utiliser, d'autres non. Il n'est pas non plus nécessaire de jouer sans eux. Est-ce qu'ils apportent quelque chose à l'expérience ? Oui, ils peuvent. Mais ils peuvent aussi distraire de cette expérience, l'inhiber ou la limiter. Mais ils ne sont pas nécessaires.
Ce que je considère comme essentiel au jeu de rôle – ce qui définit le jeu de rôle – est que les joueurs endossent le rôle de leur personnage dans un jeu qui a des règles qui permettent et encouragent l'histoire et les choix du personnage. Cela, c’est un jeu de rôle.
Et
avec cette définition à l'esprit, j'examine ce à
quoi va ressembler D&D4 et j'en suis venu à la conclusion
qu'il ne sera pas un jeu de rôle.
Vous pouvez en faire un
jeu de rôle, mais pour cela, vous devrez ajouter des éléments
qui n'existent pas dans les règles. Si vous jouez en vous
tenant aux règles, ce n'est pas un jeu de rôle.
D&D
a des règles qui vous récompensent lorsque vous faites
les meilleurs choix stratégiques et tactiques, mais il n'en a
pas pour aider les joueurs à faire progresser l'histoire. Il a
des règles pour le mouvement, les dommages, les soins et tout
le reste, tout comme Talisman, mais il ne récompense pas un
personnage qui prendrait des décisions qui ne sont pas
focalisées sur la victoire.
A la fin d'Indiana Jones et
le temple maudit, Indy abandonne « le trésor et
la gloire » pour soigner le village. Il rend la pierre
magique au vieil homme, achevant ainsi la transformation du salopard
cupide et égoïste en un héros que nous avions
découvert au premier film.
Dans D&D4, il n'y a aucun
avantage pour lui à abandonner le trésor. Hé!
Dans D&D3, il n'a aucune raison de le faire non plus. Aucune
raison stratégique ou tactique. Il devrait prendre la pierre
magique, l'ajouter à son stock d'objets magiques et partir
vers une nouvelle aventure. De même, il n'aurait pas dû
rendre l'Arche d'Alliance au gouvernement américain et il
n'aurait pas dû s'arrêter pour soigner son père.
Il aurait dû s'enfuir de ce temple aussi rapidement que ses
petits pieds le portaient, puis profiter d'avoir découvert la
coupe du Christ. C'est la seule manière de gagner des points
d'expérience. C'est la seule manière de
« gagner ».
C'est comme cela que vous gagnez
à D&D. Plus de trésors pour tuer de plus gros
monstres pour avoir de plus gros trésors.
Ce qui m'amène
au point principal de ce texte: l'équilibre du jeu.
D&D3
avait pour obsession l'équilibre du jeu. Le fait que les
caractéristiques soient tirées au hasard montre à
quel point c’était un Echec Total et Massif. (Si nous
faisons la somme de nos caractéristiques et que vous avez un
point de plus que moi, c'est que nos personnages sont déséquilibrés).
Quelle quantité de dommages peut infliger un combattant avant
de tomber, quelle quantité de dommages peut infliger un
magicien avant de tomber, quelle quantité de dommages peut
infliger un voleur avant de tomber...? Toutes ces questions sont à
côté de la plaque. Tout spécialement dans
un jeu de rôle. Elles visent les symptômes, et non la
maladie. Elles coupent les branches mais pas les
racines.
« L'équilibre du jeu » dans
un jeu de rôle n' rien à voir avec les points de vie, la
classe d'armure, les dommages, les dons les compétences ou
quoi que ce soit du même genre. L'équilibre dans un jeu
de rôle se résume à une simple question: « Est-ce
que chaque personnage joue son rôle dans l'histoire ? »
D&D
répond à cette question sous l'aspect réducteur
de la tactique. Le combattant combat, le voleur vole, le clerc soigne
et le magicien est l'artillerie. Faites en sorte que chaque rôle
– tels que D&D les considère – soit
occupé.
Mais quid des motivations ? Quid des buts
personnels ? Laissez moins vous expliquer ce que j'entends par là.
Une de mes aventures à la RPGA [NdT : the Role-Playing Gamers Association, association à but promotionel fondée par Wizards of the Coast qui, notamment, organise des parties et des campagnes de D&D] mettait en scène un voleur de premier niveau. Il était le fils d'un tavernier qui avait accumulé d'énormes dettes de jeu. Mon personnage avait appris les talents de voleur car il avait été videur de la taverne de son père. Il savait comment vider les poches car il devait surveiller les pick-pockets. Et il savait comment attaquer par derrière car il devait savoir s'approcher des trouble-fête silencieusement pour les mettre K.O. en un coup pour éviter de déclencher un combat. C'était mon voleur.
(Je dois souligner que le jeu en lui-même n'exige pas que je fasse tout cela. Il n'y a aucune règle ou mécanisme qui le nécessite et il n'y a aucune règle ou mécanisme qui m’en récompense.)
Je partis en aventure avec mon petit voleur. Alors que nous marchions, j'ai commencé à bavarder avec les autres personnages. J'étais très bavard. Ils me réprimandèrent de ralentir l'aventure. Pas mon personnage. Mais moi. Il me réprimandèrent pour avoir jouer mon rôle. Visiblement, je jouais au mauvais jeu.
Nous avons tué quelques bandits kobolds, récupéré un peu de trésor. Les autres joueurs ne jouaient pas beaucoup en groupe (en dépit de mes suggestions) et se sont continuellement disputés et chamaillés.
Pendant ce temps, j'ai volé tout ce que j'ai pu. Lorsque j'étais seul et que je trouvais quelque chose, je le gardais. Je devais sauver la taverne de mon père, quels que soient les obstacles. Encore une fois, je jouais mon personnage, mais contre l'intérêt du groupe qui tle partage du trésor. Tel que Tav le voyais (Tav était son nom), ces gens l'avaient embauché pour faire un boulot. Ils étaient impolis envers lui, et ne s'encombraient pas de le protéger.
A la fin de l'aventure, j'avais un beau trésor en argent et en or. J'avais même récupéré une épée courte +1 dont le guerrier ne voulait pas. Et quand l'aventure fut terminée, je dis que je prenais ma retraite.
Ils me regardèrent tous avec incompréhension. Je leur rappelai que la seule raison pour laquelle j'avais fait tout cela, c'était pour sauver la taverne de mon père. J'avais un beau paquet d'argent et une épée magique qui valait des milliers de pièces d'or. J'étais riche pour le reste de ma vie. Un paysan voyait une pièce d'or par an, j'en avais quelques milliers. J'étais riche. J'avais rempli mon rôle.
Mon anecdote sur Tav m'aide à illustrer de nombreux points. Presque tous les choix que j'ai faits avec lui étais basées sur son histoire personnelle, jusqu'à sa retraite. Tous les choix étaient basés sur des éléments qui n'étaient pas sur ma fiche de personnage. Ces éléments, étaient, selon mon pont de vue, les choses les plus importantes concernant un personnage.
L'équilibre du jeu n'a rien à voir avec les points de vie, la classe d'armure, le nombre de sorts par jour et ce genre de choses. L'équilibre du jeu consiste à permettre à un joueur de raconter son histoire sans éclipser les autres personnages. C'est un mécanisme qui aide les joueurs et les récompense pour cela.
Du moins, c'est ma manière de voir les choses.
Et je ne suis pas encore complètement satisfait de cette définition.